Au Sénégal l’évolution du mouvement coopératif et mutualiste est étroitement liée à l’histoire politique, économique et administrative du pays. En effet, bien avant la première guerre mondiale, le pouvoir colonial français avait perçu la nécessité de spécialiser les territoires d’Outre Mer pour mieux tirer profit de leurs matières premières. Pour le Sénégal, ce sera autour de l’arachide, principale culture de rente, que s’établiront les schémas organisationnels du monde rural.
La Société Indigène de Prévoyance (SIP) sera la première structure mise en place entre 1902 et 1907. Suite à d’âpres critiques d’hommes politiques locaux concernant la main mise des agents coloniaux sur la gestion des dites organisations, des réformes successives transforment les SIP en Sociétés Mutuelles de Production Rurale (SMPR) d’abord puis en Sociétés de Développement Rural (SDR).
Réalisant qu’il était difficile de mettre en place une politique de production sans une participation volontaire, le pouvoir colonial introduit la coopérative dans le paysage associatif sénégalais par la loi du 10 septembre 1947. Les premières coopératives avaient comme présidents des autorités religieuses : Serigne Bassirou M’Backé, Serigne Cheikh M’Backé, El hadji Ibrahima Niasse ou des chefs traditionnels comme Fodé Diouf.
Dès 1956, Mamadou Dia, chef du Gouvernement de la Loi Cadre ou Autonomie interne, réalisant les dangers que courait le mouvement coopératif noyauté par des hommes politiques en quête de légitimité, décida d’y mettre de l’ordre. Cette tentative de moralisation du mouvement coopératif pris fin avec son arrestation en 1962.
Le Sénégal indépendant confirmera son choix pour l’outil coopératif. Dans une première phase, la coopération a été lancée essentiellement dans le milieu rural avec comme objectif d’assainir les circuits de production et de commercialisation de l’arachide, de démanteler l’économie de traite, de mettre fin à l’endettement usuraire des paysans. L’Office de Commercialisation Agricole (OCA), les Centres Régionaux d’Assistance au Développement (CRAD), qui seront transformés plus tard en Office National de la Coopération et de l’Assistance pour le Développement (ONCAD) et la Banque Sénégalaise de Développement (BSD), devenue plus tard Banque Nationale pour le Développement du Sénégal (BNDS), destinée à assurer le financement de la commercialisation et soutenir les projets coopératifs, furent crées en 1960 pour accompagner le processus sur les plans technique et financier. Des équipes pluridisciplinaires composées d’agents bien formés furent mises en place au niveau des Centres d’Expansion Rurale pour accompagner la mise en œuvre de cette politique coopérative.
Initialement organisées à l’échelle du territoire national et fonctionnant selon des principes démocratiques, les coopératives agricoles regroupaient un ensemble de plusieurs villages dont les coopérateurs élisaient un bureau qui était le répondant des sociétés d’encadrement et des services de l’État.
« Cependant les enjeux financier et politique que représentait le système coopératif a conduit à sa récupération par les cadres des sociétés d’encadrement, par les gros producteurs détenteurs d’importantes exploitations, mais aussi par les forces politiques soucieuses de se ménager une réserve électorale et un outil de détournement de l’aide alimentaire pendant les années de sécheresse » (La Problématique du Travail Décent dans l’Agriculture Sénégalaise- Sette Dieng, mars 2003).
Cette situation, cumulée à la mauvaise gestion entraînèrent l’effondrement de l’ONCAD en 1980 laissant à l’État un passif net de 100 milliards FCFA qui ébranla tout le système bancaire sénégalais. L’ONCAD fut remplacé par toute une série de sociétés d’encadrement qui échouèrent les unes après les autres.
L’arrivée d’Abdou Diouf, second Président de la République, en 1981 va inaugurer l’ère du « Moins d’État, mieux d’État » c’est-à-dire de la responsabilisation et de l’ouverture démocratique. En 1983, suite aux divers problèmes de gestion des sociétés d’encadrement et des Coopératives arachidières, l’État décida de la réforme coopérative. La loi n° 83- 07 du 28 janvier 1983 portant statut général des coopératives du Sénégal et son décret d’application n° 83-320 du 25 mai 1983 verront la création de sections villageoises (4.500) et de coopératives rurales (337) . Cette réforme n’apporta pas cependant des réponses idoines aux problèmes des coopératives rurales trop dépendantes de la culture arachidière en plein déclin.
Par ailleurs les aléas climatiques, les fluctuations du cours de l’arachide, le manque de diversification et la non-maîtrise fréquente des itinéraires techniques ainsi que le surendettement des paysans amenèrent ces derniers à cumuler les impayés. Devant le manque de remboursement, l’État fut amené à pratiquer le prélèvement d’importantes marges sur les graines d’arachides commercialisées pour financer les services de la BNDS. Cette dernière sombra à son tour en 1990.
Le mouvement coopératif sénégalais tomba en disgrâce et on lui substitua d’autres formes d’organisation comme les Groupements d’Intérêt Économique (GIE) dont l’action se révéla peu structurante et peu bénéfique à l’économie nationale.
La dissolution en 2001 de la SONAGRAINE, filiale de la SONACOS (Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux) chargée de l’achat des graines aux producteurs et de la gestion/distribution des semences acheva de plonger les coopératives arachidières dans une profonde léthargie. Les dysfonctionnements du nouveau système dit « carreau usine » a provoqué en 2001 et 2002 un mécontentement général des paysans à cause du non-paiement de la production arachidière livrée.
Cependant, comme dans les autres continents, on constate en Afrique depuis le début des années 2000 un regain d’intérêt pour les coopératives. C’est ainsi qu’est né le Plan d’Action Décennal de Lutte contre la Pauvreté par l’Entrepreunariat coopératif (Yaoundé 2000) de la Conférence Panafricaine Coopérative. Le Projet d’Acte Uniforme au Droit des Sociétés Coopératives et des Mutuelles de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) en chantier suite à la saisine du Sénégal est fortement appuyé par l’Union Africaine, les Banques Centrales d’Afrique Centrale et de l’Ouest, l’OIT et la Conférence Panafricaine Coopérative.